L’étude génétique des populations juives, dispersées à travers le monde, mais ayant conservé leur identité culturelle et/ou religieuse, a été tentée à plusieurs reprises, d’abord par l’analyse de la répartition des groupes sanguins, puis par celle de marqueurs moléculaires [1, 2]. Elle a d’abord montré qu’il s’était produit, au cours des siècles, des mélanges entre les communautés juives et les populations au sein desquelles elles ont vécu. Puis des recherches sur les marqueurs du chromosome Y - hérité du père sans recombinaison méiotique - ont mis en évidence la fréquence élevée de l’haplotype J (selon les définitions du Consortium 2002 du chromosome Y) chez les Juifs ashkénazes et séfarades ainsi que dans la population libanaise [3]. Il était évidemment tentant d’étudier aussi les marqueurs d’origine maternelle, c’est-à-dire ceux de l’ADN mitochondrial (ADNmt) (→). Ces deux types de marqueurs uniparentaux ont déjà permis de retracer l’histoire des grandes migrations des populations humaines [4]. Leur étude comparative reflète les différences de comportements sociaux entre les hommes et les femmes. Ici, elle était particulièrement intéressante puisque, selon la tradition juive, le statut de juif dépend de la mère et non pas du père, en l’absence de conversion [5]. Logiquement, l’ADNmt devait donc se révéler encore plus homogène que l’ADN de l’Y. Un travail réalisé par des équipes du Royaume-Uni, d’Italie et d’Israël vient d’apporter une confirmation éclatante de cette déduction théorique [6]. Étant donné la dispersion du peuple juif ayant fui la Palestine à différentes époques au cours des siècles, il fallait d’abord définir les groupes de population, en fonction des pays où ils se sont implantés. Il s’agit certes d’un classement approximatif, car dans bien des cas, il n’existe aucune certitude d’une continuité génétique entre l’époque de l’implantation, souvent très ancienne, et la communauté d’aujourd’hui. Neuf groupes ont été retenus.
- Ashkénazes, dont les origines sont controversées.
- Marocains installés au Maghreb depuis la fin de l’Antiquité
- Irakiens, arrivés après l’exode consécutif à la destruction du premier temple en 586 avant notre ère;
- Iraniens qui doivent provenir d’une expansion des Irakiens;
- Géorgiens, descendants d’une communauté vivant déjà autour de Tbilissi au IVe siècle de notre ère;
- Boukharans, vivant en Ouzbékistan depuis le VIIIe siècle avant notre ère, rejoints par des Juifs de Perse entre le IIIe et le VIIe siècle de notre ère;
- Yéménites, de l’ancien Royaume juif himyarite du Yémen anté-islamique;
- Éthiopiens, descendants des seigneurs ayant accompagné Ménélik 1er* au premier millénaire avant notre ère;
- 9. Indiens vivant dans la région de Bombay et descendants des réfugiés de la guerre des Macchabées sous Antiochos IV Epiphane (175-164 avant notre ère). Quant aux témoins, ils sont choisis dans les populations des différentes régions où vivent ces communautés. Les résultats, qui reposent sur des analyses statistiques adaptées à l’interprétation des variations génétiques des populations, sont concluants: d’après les haplogroupes de l’ADNmt, chaque communauté semble descendre d’un petit nombre de femmes et l’apport génétique des populations avoisinantes est très limité. On distingue environ huit mères fondatrices pour l’ensemble des communautés. Un tel effet fondateur n’est pas observé avec les marqueurs de l’Y. Cette différence entre les deux types de marqueurs uniparentaux reflète sans aucun doute la pratique culturelle et religieuse respectée au cours des siècles parmi ces communautés. Seule la population ashkénase a un haplotype modal assez voisin de la population environnante, sans qu’on puisse distinguer d’effet fondateur, peut-être en raison d’apports successifs qui auraient constitué un groupe où se seraient mélangés plusieurs événements fondateurs indépendants.
(→) m/s 2000, n° 3, p. 450